Au théâtre Vitez se joue une pièce singulière mêlant théâtre et robotique, pour voir en direct l’impact de la langue sur les corps.
« Faudra un jour d’un acteur livre son corps vivant à la médecine, qu’on ouvre, qu’on sache ce qu’il se passe dedans, quand il joue« , proclame Valère Novarina, dramaturge franco-suisse de 81 ans, joué sur les planches des plus grands théâtres, à l’Odéon, au théâtre de la Colline, à la Comédie Française, à Avignon… « C’est le plus grand auteur contemporain de théâtre« , dit simplement de lui Louis Dieuzayde, Président du théâtre Antoine Vitez et enseignant dans la section théâtre de l’université. « Le grand moteur de toute son écriture, à la langue avant-gardiste et poétique, à la syntaxe bousculée, et d’attaquer nos représentations convenues, normées, poursuis celui qui est un ami depuis 30 ans du dramaturge et un fin connaisseur de son œuvre. Il déconstruit l’image de l’Homme, nous dévoile une part inconnue de nous-même« . La metteuse en scène Youssra Mansar a décidé avec sa pièce expérimentale « Novabot » (contraction de Novarina et robot) de prendre l’auteur au pied de la lettre. D’ouvrir, à grand renfort de drones, de très gros plans et de capteurs de rythme respiratoire, le corps de son acteur.
Le visage défragmenté
Sur scène, on ne voit d’abord de Matteo Duluc que la projection au sol de ses inspirations et expirations, capté par l’appareil qu’il porte sur lui. Spontanément, le spectateur a alors tendance à caler sa respiration sur ce rythme. Puis ce sont des gros plans sur la bouche de l’acteur, son coup, son artère jugulaire, qui sont projetés sur un grand écran. Puis encore des très gros plans dans sa bouche, révélant sa glotte, ses dents, sa salive, avant et pendant qu’il déclame des fragments de l’œuvre de Novarina. « Son visage est défragmenté et devient un paysage, à la manière des peintures de Francis Bacon« , souligne Louis Dieuzayde. « Je veux montrer le dedans et le dehors de l’acteur, et étudier comment l’acteur gère ce dévoilement de son intimité, complète Youssra Mansar. Ce qui est frappant, c’est que ça bouge avant que ça parle, la glotte par exemple se met en marche avant que l’on entende le son« .
Le texte de Novarina, éminemment poétique, traverse et travaille le corps de l’acteur qui est aussi ausculté et décomposé en direct et sur grand écran, presque de manière médicale. « Certains spectateurs ont dit qu’ils trouvaient cela presque obscène. Mais en réalité, le spectateur peut choisir ce qu’il regarde, c’est à lui de faire le montage, prévient Louis Dieuzayde. Ce que je trouve de plus passionnant, c’est que malgré toute la technologie déployée, la mise en scène reste très simple et nous donne un accès direct à la langue poétique« .
L’usage que Youssra Mansar, qui a fait tout son cursus d’études théâtres à Aix, fait de ses nouvelles technologies est en effet à la fois profondément original (l’usage du drone sur scène se limitait jusqu’à lors essentiellement à une quête du spectaculaire pour des shows de danse ou du cirque) et esthétique, donnant à voir une nouvelle plastique et une nouvelle poétique de ses machines normalement destinées à la surveillance, à la guerre ou à la chirurgie. La metteuse en scène de Sevdim complète » Je veux déplacer l’attention à langue vers son aspect organique et tangible. Cela recompose aussi l’impression figée et immédiate qu’on se fait normalement de quelqu’un ». Une danseuse, Caitlin Dailey, fait une apparition vers la fin de la pièce. À l’arrivée, le corps de l’acteur tel qu’on le reçoit communément semble disparaître et les textes de Novarina – des fragments de son « Vivier des noms » et de « L’Amiral imaginaire » – sont magnifiés par des images captées par le dirigeable.
Un étonnant dispositif au service de la recherche
Cet étonnant dispositif comprend en plus un « eye-tracker », qui permet de suivre à la trace tout ce que regarde l’acteur, et un dirigeable téléguidé et équipé d’une caméra, conçu par la plateforme technologique ID-Fab de l’École des Mines de Saint-Etienne, campus Aix-Marseille-Provence à Gardanne. Car cette pièce étrange – à l’intersection de la robotique et des arts de la scène et co-programmée à ce titre par le festival marseillais de pratiques artistiques émergentes Parallèle – , et aussi, – et avant tout – un travail de recherche. « Acteur et drone. Dialectique du corps en scène et de son image fragmentée » tel est le titre de la thèse de Youssra Mansar mène actuellement sous la direction de Louis Dieuzayde et Julien Serres, maître de conférence en robotique bio-inspirée à l’Institut des Sciences du Mouvement – Étienne-Jules Marey (CNRS/Aix Marseille Université, ISM UMR7287), un grand laboratoire de 150 chercheurs basé en partie sur le site de l’IUT d’Aix et sur le campus de Luminy à Marseille. « Le spectacle et la thèse se nourrissent mutuellement. La scène est mon laboratoire et le retour des specteurs m’aident à préciser mon propos« , conclut la metteuse en scène. A noter que le dramaturge Valère Novarina fera l’honneur de sa présence à la séance de 20 h, qui sera suivi d’un bord de scène et d’échanges avec le public avec l’équipe artistique, Lou Colombani, du festival Parallèle, Julien Serres et Louis Dieuzayde. « Novabot » sera ensuite joué sur d’autres scènes spécialisées ‘Arts et Sciences’ : Le Vélo Théâtre d’Apt, en octobre, et le théâtre de la Reine Blanche à Paris, en novembre.
Malik Teffahi-Richard
Presse régionale La Provence :