À Luminy, des scientifiques conçoivent des robots bardés de capteurs, pour reproduire les capacités des insectes à se mouvoir. En jeu, des applications militaires et civiles.

Dans le hangar, un étrange capharnaüm. Des étagères débordant de câbles, des écrans d’ordinateurs, des cartes à puce orphelines, des membres mécaniques et… un immense filet, encadrant un espace où ont été disposés des arbres et des buissons en plastique. On découvrira plus tard que c’est le terrain d’expérimentation de robots, entraînés à se déplacer entre les obstacles. Bienvenue à l’Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (CNRS/Aix Marseille Université, UMR 7287), dans les locaux d’une de ses équipes spécialisées… dans la biorobotique, ou plus exactement les systèmes « bio-inspirés ». Le défi de ces chercheurs ? Observer la nature, les animaux – les insectes surtout – pour concevoir des engins qui apporteront des réponses précieuses à l’ingénierie, notamment dans l’industrie. Ici, on parle de « vol battu des insectes », d’« ostéogenèse », de « morphogénèse des articulations », d’« actionneurs biologiques » ou encore de « processus perceptifs et cognitifs » … Charabiaésotérique pour le profane, mais dont les applications s’avèrent bien concrètes.

« Commencer par s’émerveiller »

« Nous voulons comprendre le mouvement animal et ce qu’on appelle la boucle perception-action », détaille Julien Serres, maître de conférences et responsable de l’axe biorobotique de l’Institut. Pourquoi prendre exemple sur les insectes, quand on sait que leur acuité visuelle est en moyenne 200 fois inférieure à celle de l’être humain ? « Parce qu’ils développent des stratégies pour mieux voir, mieux percevoir leur environnement, par le mouvement oscillatoire par exemple. Le robot « classique », pour se repérer, va télécharger une carte. La robotique de demain sera connectée à un réseau, avec géolocalisation. Mais que se passe-t-il si une voiture perd son GPS, s’il y a une panne ? Un insecte, lui, est hors-ligne, mais il est connecté à son environnement. L’idée est donc d’apprendre comment il fonctionne, et de proposer de nouvelles modalités perceptives, souvent avec peu de moyens, différentes de celles qu’on retrouve aujourd’hui dans l’industrie. Pour que par exemple, un véhicule de livraison autonome puisse se débrouiller pour rentrer tout seul à l’entrepôt, même s’il n’a plus de réseau. » L’Institut travaille ainsi sur des applications militaires (de nouvelles lunettes de ciblage pour Safran Electronics & Defense) ou civiles, comme une boussole optique pour le groupe automobile Stellantis.

Certains insectes, comme les abeilles, s’orientent en effet à l’aide de la polarisation de la lumière ; l’idée est de reproduire un tel système, plus fiable qu’une boussole magnétique, difficilement utilisable en présence d’électronique. « Il faut commencer par s’émerveiller, et ensuite avoir une approche de scientifique », résume Julien Serres, qui ne voit pas pour autant le conducteur humain d’une voiture remplacé par un robot. Pour l’instant, en tout cas. « Le véhicule va sans doute étudier la conduite, suggérer de faire des pauses quand il calculera que la personne au volant fatigue. Je ne crois pas non plus aux petits robots qui se promènent tous seuls dans la rue. Mais par exemple, un facteur qui se déplace avec des robots derrière lui pour porter les charges, oui, sans doute. Car la première étape, ce sera la robotique collaborative, entre hommes et machines. » Des machines, peut-être, dotées d’yeux d’insectes.

Julien Danielides

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