Une boussole optique inspirée des oiseaux

Géolocalisation

Trouver le nord sans boussole ni compas. Une prouesse que bien des animaux sont capables, mais dont nous peinons à expliquer les ressorts. Si la plupart des oiseaux migrateurs sont dotés de sorte de capteur capable de repérer le pôle Nord magnétique, de nombreux êtres vivants utilisent des techniques exclusivement visuelles. Le simple fait de regarder la lumière les aides à se repérer. C’est le cas de la fourmi Cataglyphis qui, par exemple, peut estimer son cap en plein désert grâce à sa boussole optique, associée à une région de son œil sensible à la polarisation du ciel. Une équipe composée de chercheurs de l’Institut des Sciences du Mouvement – Etienne-Jules Marey et l’Institut Matériaux Microélectronique Nanosciences de Provence (Aix Marseille Université/CNRS) propose de développer un nouvel outil de géolocalisation en s’inspirant, par bio mimétisme, de ces méthodes animales (PNAS, 17 juillet 2023).

« De la boussole au compas, il existe plusieurs techniques pour repérer le nord, mais la plupart utilisent le nord magnétique, ce qui a plusieurs inconvénients, notamment dans l’optique de fabrication de véhicule autonome », explique Julien Serres, co-auteur de ces travaux et Maître de Conférences à l’Institut des Sciences du Mouvement – Etienne-Jules Marey. Le nord magnétique ne correspond en effet pas exactement au nord géographique. Il se situe actuellement au nord du Canada et migre vers la Sibérie. Les méthodes les plus fiables pour se repérer sont donc celles qui reposent sur l’observation du ciel, en regardant la migration des étoiles autour de l’axe de rotation de la Terre, ou bien l’utilisation de données satellites pour le GPS, ou bien les gyrocompas qui ne fonctionnent pas près des pôles. « Mais les signaux des satellites peuvent être facilement brouillés ou être usurpés, et les étoiles ne peuvent être utilisées que de nuit sous un ciel clair, continue Julien Serres. On savait que les oiseaux parvenaient à repérer le nord géographique, ou même le sud, y compris en journée. » En effet, plusieurs études ont montré que certains oiseaux migrateurs comme le Passerin indigo ou le Bruant des prés calibrent leur boussole magnétique en observant la rotation céleste durant la nuit, mais aussi de jour en utilisant la polarisation du ciel. « Nous avons donc commencé à travailler là-dessus, raconte Julien Serres. L’objectif est de mettre au point un outil qui nous permettait de visualiser la polarisation de la lumière, invisible à l’œil nu, et de calculer notre position géolocalisée sur le globe à partir de cette observation. » 

Caméra de polarimétrie

La polarisation du ciel liée au phénomène de diffusion, dit, de Rayleigh, à l’origine de la couleur bleue du ciel, tout comme la couleur rouge du soleil a son levé. Le phénomène de polarisation a été découvert au début du XIXe siècle. « La polarisation de la lumière est l’angle avec lequel vibre le champ électrique que compose la lumière », explique Julien Serres. La lumière, émise par le soleil n’est pas polarisée, mais quand celle-ci rentre dans l’atmosphère, elle va interagir avec les particules qui la composent. Cela va créer des motifs qui vont se distribuer autour du soleil. » Si ce phénomène nous est invisible, il est très facile de l’observer à l’aide de lunettes polarisées en se plaçant dos au soleil. Selon l’orientation que l’on donnera à notre tête, le ciel sera plus ou moins foncé, voire tout noir, car les lunettes bloquent la lumière. 

De son côté, Julien Serres et ses collègues ont utilisé une caméra de polarimétrie initialement utilisée pour le contrôle qualité au milieu industriel. « Nous l’avons détourné de son usage initial pour enregistrer le ciel, explique Julien Serres. Nous l’avons fixé sur le toit de l’Institut des Neurosciences de La Timone (INT) à Marseille. À partir de ces observations, nous avons pu mesurer la rotation du degré de polarisation de la lumière du ciel de jour. À l’aide d’un algorithme, nous pouvons donc repérer le nord géographique, ou le sud selon que l’on se trouve sur l’hémisphère nord ou sud, à n’importe quelle heure du jour, y compris quand le soleil a dépassé l’horizon et que sa lumière persiste dans le ciel. » La trajectoire du soleil dans le ciel tourne autour du pôle Nord céleste, et fait tourner le motif ou le degré de polarisation autour de ce point. La polarisation de la lumière dessine des cercles concentriques autour du soleil qui tourne autour de l’axe de rotation de la Terre. Le système, baptisé SkyPole, est ainsi la première méthode exploitant uniquement des informations issues du motif de polarisation du ciel pour se géolocaliser sans pour autant exploiter la course du soleil.  Les scientifiques ciblent pour le moment deux limites dans cette méthode. D’une part, elle nécessite le traitement d’au moins trois de ces images et d’autre part, le temps de collecte de données est long et est, pour le moment, inadaptée au positionnement instantané. « Mais notre prochain objectif sera d’utiliser notre caméra sur une voiture, pour montrer que la géolocalisation est également possible en mouvement, explique le scientifique. Nous sommes assez confiants et devrons présenter des résultats prometteurs rapidement. » 

Vincent Bordenave

Presse nationale Le Figaro :